- ÉRYTHRÉE
- ÉRYTHRÉEÉRYTHRÉEL’Érythrée a acquis son statut d’État souverain le 24 mai 1993, plus d’un siècle après sa constitution en entité coloniale sous domination italienne. L’histoire de ce pays demeure inextricablement liée à celle de toute la Corne de l’Afrique depuis cette période agitée du XIXe siècle où les ambitions des grandes puissances coloniales européennes s’affirmaient. D’une certaine manière, son avenir déterminera également celui des pays de la région dans une conjoncture internationale pourtant bien différente de celle de l’après-1945 qui a été caractérisée par la rivalité Est-Ouest.Alors que Français et Anglais prennent pied dans la Corne de l’Afrique dans la seconde moitié du XIXe siècle et cherchent des alliances avec les deux grandes puissances de la zone, les Empires ottoman et éthiopien, l’Italie récemment unifiée tente de se glisser dans la cour des grands. Avec une aide britannique non négligeable, elle y parvient et, en 1890, fait de l’Érythrée sa première colonie africaine. Cette colonie n’apporte guère d’avantages: l’installation de colons échoue, le pays est pauvre, et la population est divisée en de multiples communautés qu’agglomèrent à peine l’islam dans les plaines et le christianisme orthodoxe sur le plateau. D’ailleurs, les ambitions coloniales s’estompent pendant près de trois décennies, et ce à cause de la faiblesse militaire et financière de l’Italie. L’expérience fasciste marque cependant un tournant radical: l’Érythrée devient la base arrière de l’occupation de la Corne, qui débouche pour quelques années, de 1936 à 1941, sur la création de l’Afrique orientale italienne. Mais le triomphe est de courte durée, et l’offensive alliée victorieuse de 1941 fait une nouvelle fois de l’Érythrée une base logistique, mais pour la reconquête du Proche-Orient contre les forces de l’Axe.Les Érythréens n’assistent pas passifs à ces événements. Ils s’identifient en majorité au projet impérial italien et conçoivent beaucoup de dépit d’une défaite non programmée. Aussi, dès la victoire britannique en 1941, les plus instruits d’entre eux s’organisent et revendiquent une amélioration de leur statut face aux anciens colons. Rien ne change, car les Britanniques privilégient alors la stabilité. La discussion sur l’avenir des anciennes colonies italiennes s’engage dès 1945 et mobilise de larges secteurs de la population. Jusqu’en 1950, l’Érythrée connaît une vie politique sans égale dans la région: partis politiques, presse, droit d’association et de réunion.La communauté musulmane, dont l’unité est précaire, défend très majoritairement l’indépendance, mais se divise en 1949, une fraction résidant dans l’Ouest choisissant un compromis avec le Parti unioniste. Celui-ci exige le rattachement à l’Éthiopie. Il regroupe, grâce à la mobilisation de l’appareil clérical, l’essentiel de la communauté orthodoxe du plateau. D’autres organisations de moindre importance, recrutant en milieu chrétien (catholique et protestant, notamment), défendent des thèses plus ouvertes sur la question du mandat international ou de l’indépendance immédiate.Après bien des tergiversations, la communauté internationale tranche en faveur d’une solution fédérale lors d’un vote aux Nations unies en 1950; rétrospectivement, cette idée apparaît totalement irréaliste et très favorable à l’empereur éthiopien, qui avait dans cette période multiplié les gages vis-à-vis des États-Unis et de l’Occident dans la compétition Est-Ouest. La nécessité de protéger la mer Rouge et Israël des ambitions soviétiques ou arabes justifie presque toujours à partir de cette date l’attitude des grandes puissances, qui ne prêtent que peu d’intérêt aux problèmes politiques internes de l’Érythrée.Mise en place en 1952, la Fédération érythréo-éthiopienne disparaît en 1962. Elle n’a plus de réalité autre que juridique après 1956. L’unification est votée en 1962 par un Parlement encerclé par les chars de l’armée éthiopienne. Dès 1958, un mouvement nationaliste clandestin prend forme, sans grand succès. En effet, de larges fractions de la population, y compris chrétienne, n’acceptent pas le contrôle éthiopien: l’opposition politique est obligée de s’exiler avant 1956, et les mouvements sociaux, à l’instar de la grève générale de 1958, témoignent déjà de réticences de plus en plus vives à l’égard de l’Éthiopie.En 1961, la création du Front de libération de l’Érythrée (F.L.E.) connaît un plus grand écho car ce parti a une branche active au Caire et des combattants dans l’ouest de l’Érythrée sous la direction d’Idriss Awate. De 1961 à 1969, la vie du F.L.E., en majorité musulman, est traversée par des crises profondes. Certaines sont dues aux offensives éthiopiennes et à une contre-guérilla encadrée par Israël. Dès 1967, ces combats provoquent l’exil de la population vers le Soudan: les réfugiés chassés par la guerre et la famine sont plus de 500 000 au milieu des années 1980. D’autres, plus importantes encore, reflètent la fragilité du nationalisme érythréen, la force des identités régionales, le sectarisme des dirigeants ou des combattants. Cette dérive interne conduit à la création, entre 1970 et 1972, d’une nouvelle organisation politico-militaire qui devient, en 1977, le Front populaire de libération de l’Érythrée (F.P.L.E.).La révolution éthiopienne en 1974 sauve sans doute les nationalistes érythréens d’une autodestruction, car, entre 1972 et 1974, F.L.E. et F.P.L.E. se livrent à des règlements de compte. L’effondrement de l’appareil d’État et le basculement d’une très grande majorité de la population chrétienne dans l’insurrection changent les données de la guerre: les négociations avec Addis-Abeba tournent court et, en 1977, les deux Fronts, formellement alliés, contrôlent l’essentiel du pays. Mais les Soviétiques, abandonnant la Somalie, soutiennent l’Éthiopie délaissée par les États-Unis. Les Fronts perdent vite l’essentiel du territoire conquis. Bien que l’offensive Red Star échoue en 1982, le F.L.E. est refoulé au Soudan et le F.P.L.E. ne tient plus que l’extrême nord de l’Érythrée.Cette situation dure de longues années. La sécheresse de 1984-1985 convainc les États-Unis de modifier leur attitude face au F.P.L.E. sécessionniste et marxiste. Ce dernier prend Afabet, quartier général des forces éthiopiennes dans le nord de l’Éthiopie (et de l’Érythrée), au printemps de 1988. Cette victoire importante permet de relancer l’offensive, d’autant que l’opposition éthiopienne menée par le Front populaire de libération du Tigré se réorganise et fonde, en 1990, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (F.D.R.P.E.). En mai 1991, les guérilleros du F.P.L.E. rentrent dans Asmara, et ceux du F.D.R.P.P. dans Addis-Abeba grâce à un soutien multiforme, américain, israélien et soudanais...Le nouveau pouvoir est alors totalement aux mains du F.P.L.E., et celui-ci décide d’organiser un référendum d’autodétermination en avril 1993, en profitant de ses excellentes relations avec Addis-Abeba. L’Érythrée accède formellement à l’indépendance le 24 mai 1993. Par cet événement, l’Éthiopie perd ses accès à la mer, mais les deux capitales négocient une utilisation d’Assab comme port franc puis signent des traités de coopération économique qui aboutissent à la création d’une zone de libre-échange.L’inquiétude porte surtout sur le cadre régional. Le pouvoir islamiste de Khartoum aide le F.P.L.E. et le F.D.R.P.E. pour en finir avec le gouvernement éthiopien qui soutenait l’insurrection sud-soudanaise depuis 1983. Depuis mai 1991, les relations entre Asmara et Khartoum se sont détériorées car le laïcisme extrême du F.P.L.E. ne peut accepter les incursions armées des islamistes entraînés sur le territoire soudanais ni le prosélytisme qui s’exerce auprès des réfugiés qui doivent rentrer en Érythrée. À un autre niveau, la crise à Djibouti entre 1991 et 1994 souligne également la fragilité de l’Érythrée en cas de déstabilisation d’un voisin.La démocratisation et la reconstruction du pays se font attendre; ce retard crée des tensions entre le gouvernement, qui n’a guère assoupli sa culture politique, et la population, dont les attentes sont grandes et très diverses. Les conflits régionaux peuvent également affecter la situation interne, dans la mesure où ils mettent en relief des thèmes qui peuvent entamer le consensus national comme la question religieuse ou linguistique.érythrée(rép. d'érythrée) état d'Afrique du Nord-Est limité à l'ouest et au nord par le Soudan, au sud par l'éthiopie et Djibouti, à l'est par la mer Rouge; 121 400 km²; 3 510 000 hab. (érythréens) selon l'estimation de 1995; cap. Asmara. Nature de l'état: régime présidentiel transitoire. Langues off.: tigrinya, arabe. Monnaie: birr éthiopien. Géogr. phys. - L'étroite plaine côtière, soumise à la chaleur, reçoit quelques précipitations en hiver. Le désert des Danakil la prolonge. Le plateau volcanique, qui atteint près de 2 600 m au-dessus de cette plaine, reçoit en été de maigres pluies. Le rebord du plateau est occupé, entre 400 et 1 200 m, par une forêt d'arbres à feuilles caduques, grâce à des pluies modérées toute l'année. Géogr. hum. - La population érythréenne se répartit entre musulmans, chrétiens et adeptes des religions traditionnelles. La plaine côtière est parcourue par des nomades musulmans (Afar, par ex.) qui parlent des langues couchitiques. Le plateau est peuplé de chrétiens, parlant le tigré et le tigrinya, langues sémitiques; ils pratiquent l'élevage de bovins et d'ovins, ainsi que l'agriculture. Dans la zone frontalière avec le Soudan, on rencontre des nomades musulmans qui ont fui la guerre. écon. - Trente années de guerre ont totalement désorganisé l'économie qui dispose pourtant d'atouts certains: une infrastructure économique et sociale héritée de l'occupation italienne (1935-1941), une population instruite. Le pays vit de quelques cultures tropicales sèches (tabac, coton) et d'élevage. Asmara est un centre industriel important. L'aide internationale (È.-U., surtout) correspond à 30 % du P.N.B. et les transferts des érythréens de l'extérieur, également à 30 % du P.N.B. Hist. - Dans les temps anciens, le territoire qui constitue auj. l'érythrée appartenait au roy. d'Axoum puis à l'éthiopie, dont il était la façade maritime et l'indispensable débouché sur la mer Rouge. En 1889, les Italiens occupèrent la région, qui devint une colonie italienne par le traité d'Ucialli. L'érythrée leur servit de base de départ pour envahir l'éthiopie en 1896 puis en 1936. La colonisation de l'éthiopie par l'Italie fasciste réintégra l'érythrée au sein du vieil empire. Après la libération de l'éthiopie par les forces alliées en 1941, l'érythrée fut placée sous contrôle britannique. En 1950, sur les réclamations de Hailé Sélassié, empereur d'éthiopie, l'érythrée devint un état autonome fédéré à l'éthiopie. En 1962, elle fut entièrement intégrée à l'éthiopie. Aussitôt, le Front de libération de l'érythrée (F.L.E.) déclencha la lutte armée. Dans les années 1980, le mouvement se divisa en F.L.E. et F.L.P.E. (Front de libération du peuple érythréen), d'obédience musulmane. Allié aux autres mouvements indépendantistes éthiopiens, celui-ci prit le contrôle d'Addis-Abeba après la chute de Mengistu en 1991. Le référendum de 1993 confirma à 99,8 % l'indépendance de l'érythrée, prononcée le 24 mai 1993. Issaias Afewerki, leader du F.L.P.E., devint le premier président de la République. Celle-ci est une rép. présidentielle, à parti unique, dans une phase transitoire qui devrait s'achever en 1998.
Encyclopédie Universelle. 2012.